Vahinala Raharinirina : la diaspora malagasy en action !
|En France depuis 2002, Vahinala Raharinirina n’oublie pas son pays d’origine. Universitaire spécialiste de l’économie de l’environnement et des ressources naturelles, elle met toute son énergie, ses connaissances et sa conscience au service de Madagascar, une île qu’elle n’abandonnerait pour rien au monde. Voici son histoire, son parcours, ses combats ; voici le portrait d’une adversaire obstinée de la résignation.

Vahinala Raharinirina, universitaire engagée pour son pays
Vahinala est née à Tana, il y a trente-quatre ans, d’un père militant politique et d’une mère universitaire. De l’un, elle a hérité de la hargne à combattre aux côtés des plus faibles, de l’autre, la passion pour les études et l’enseignement et la conviction bien ancrée que sans savoir, nul ne peut se défendre.
« Mes parents m’ont façonnée. C’est sûr. Alors que certains ont pour modèle des gens comme Nelson Mandela ou le Dalaï Lama, moi, j’ai mon père et ma mère. Aussi loin que je me souvienne, il y avait toujours à la maison des gens qui venaient lui demander de l’aide à mon papa. Parfois, dès six heures du matin, pour emmener des enfants à l’hôpital par exemple. Il a toujours eu à cœur de soutenir les plus pauvres. Il a toujours été un militant du peuple ! »
La maman aussi a beaucoup marqué Vahinala. « Ma mère a choisi d’enseigner par conviction. malgré les moyens dérisoires mis à disposition des enseignants-chercheurs. Parce qu’elle sait que, sans capital humain, un jeune n’est pas assez équipé pour se lancer dans la vie et y faire face. Elle croyait tellement à sa mission que, même à l’époque où elle très était malade, elle a continué d’enseigner et à être au service des jeunes des universités publiques de Madagascar. Aujourd’hui, elle est toujours enseignant-chercheur à Tana, mais aussi dans d’autres universités de province compte-tenu de la pénurie d’universitaires qualifiés à Madagascar… »
La forêt des Mikeas : un point de départ
Vue l’influence maternelle, le parcours professionnel de Vahinala Raharinirina n’est donc pas une franche surprise. Après avoir effectué la majeure partie de sa scolarité à Madagascar (de l’école primaire jusqu’à l’université), notre brillante étudiante s’oriente soudainement vers l’économie environnementale. « A l’époque, je devais faire mon mémoire pour ma maîtrise d’économie. Et là, j’ai eu, par chance ou par hasard, je ne sais pas, le privilège de tomber sur un chercheur français, un économiste spécialiste de l’environnement. Il m’a proposée de travailler sur la déforestation de la forêt des Mikeas, ce que j’ai accepté avec grand plaisir ! Pendant que mes camarades de promo faisaient leurs stages en banque ou en entreprise, moi, j’évoluais dans la forêt !»
Au cœur de cette forêt des Mikeas, alors qu’elle étudie sous toutes les coutures les raisons de la déforestation, Vahinala a une double révélation : non seulement elle réalise combien économie et environnement sont intimement liés, mais en plus elle ouvre les yeux sur les « immenses difficultés que Madagascar éprouve à maîtriser les questions environnementales. »
Ainsi est née une vocation. « A l’issue de mon mémoire, je me posais encore tellement de questions qu’il me fallait absolument les approfondir ». Malheureusement, Madagascar ne dispose pas encore de formations universitaires de troisième cycle sur ces questions de développement durable et de liens entre économie et environnement.
C’est donc à ce moment, en 2002, qu’elle décide de poursuivre ses études en France, direction l’université de Saint-Quentin en Yvelines, pour y obtenir un DEA économie option développement soutenable et intégré.
L’objectif de départ était de revenir à Madagascar dès l’obtention de ce nouveau diplôme. Mais là encore, au terme de ce DEA, Vahinala n’a toujours pas étanché sa soif de savoir. Elle veut aller plus loin. Heureusement, sortie major de sa promo (et ça, ce n’est dû ni au hasard, ni à la chance), elle obtient une bourse d’étude gouvernementale et intègre un laboratoire français : le Centre d’économie et d’éthique pour l’environnement et le développement. Un nouveau cycle de quatre ans démarre au terme duquel Vahinala soutient sa thèse (janvier 2009).
Cette fois, complété d’un doctorat, le bagage universitaire est devenu vraiment gros. Suffisamment sans doute pour le mettre dans la soute de l’avion qui ramènera Vahinala à la maison. Mais non. Car entre-temps, Vahinala Raharinirina, comme d’autres étudiants malgaches avant elle, a construit sa vie : un mari, un enfant, une famille. « L’idée et l’envie de revenir à Madagascar ne m’ont jamais quittée. D’ailleurs, je l’ai toujours. Mais ce n’est plus une décision que je peux prendre seule. Il faut que je la négocie ! »
La chance de travailler, en France, pour Madagascar
Cependant, pas question pour Vahinala de classer Madagascar au rang des souvenirs d’enfance. « Je ne suis pas une caricature de la diaspora. Je ne suis pas du genre à ne plus me soucier de mon pays d’origine. Au contraire ! » Une déclaration vérifiée par les faits.
« Déjà, j’ai beaucoup de chances car Madagascar fait partie de mes sujets de recherche. En collaboration avec vingt-cinq autres universités, je travaille depuis trois ans pour un projet financé par la commission européenne qui a pour objectifs, entre autres, de réaliser un Atlas mondial des conflits environnementaux. Le but de cet Atlas, qu’on peut consulter en ligne, est notamment d’aider et d’éclairer les décideurs politiques chargés de mettre en place des politiques publiques en matière d’exploitation des ressources et d’approvisionnement en matières premières dans les territoires hors d‘Europe. Moi, je me penche notamment sur le cas de Madagascar. Je me suis déplacée là-bas et je suis très régulièrement en contact avec la société civile environnementale malgache, l’Alliance Voahary Gasy, mais aussi les universitaires préoccupés par les problématiques environnementales à Madagascar. »
Je dis que c’est une chance car, pour en avoir parlé avec certains autres Malgaches de France, je sais que beaucoup rêveraient de pouvoir travailler dans un domaine en lien avec leur pays d’origine… »
Pour autant, les actions de Vahinala Raharinirina en faveur de Madagascar ne se limitent pas au seul cadre professionnel. La cellule familiale est elle aussi largement mise à contribution. « Mon mari, qui est aussi enseignant-chercheur, a été pris dans le mouvement ! Chaque année, par le biais de l’Agence universitaire de la francophonie, il passe entre trois semaines et un mois dans les universités malgaches. Et cela depuis neuf ans. »
Et puis il y a Kilonga, cette association créée par Vahinala et son mari il y a dix ans. « Au départ, nous parrainions cinq enfants à Imady. Depuis, grâce aux donateurs et aux partenaires, il y en a eu 1100 et nous avons pu construire une bibliothèque, un bâtiment scolaire dans une école primaire publique (EPP) et mettre en place un jardin pédagogique. Le but premier est d’aider les enfants à suivre leur scolarité jusqu’à la sixième et ainsi leur permettre de maîtriser la lecture et l’écriture. Nous aimerions les accompagner encore plus loin et si nous le pouvions, nous le ferions. Mais savoir écrire, savoir lire, c’est déjà un bagage indispensable pour démarrer dans la vie. »
Enfin, dernier né des projets de Vahinala Raharinirina : le développement d’une activité d’entrepreneuriat social : « Avec deux associés, je travaille avec deux groupements de producteurs d’huiles essentielles à Fianarantsoa et à Antsirabe. Nous avons trouvé un circuit qui leur permet de vendre directement leurs productions auprès des entreprises européennes. Le but est que ces petits producteurs puissent avoir accès directement au marché sans dépendre des nombreux intermédiaires à Madagascar ! Pour le moment, nous travaillons avec une quarantaine de producteurs mais nous aimerions étendre notre périmètre à ceux de Nosy Be et de Tanà. Des projets de collaboration sont d’ailleurs en cours avec la Chambre de commerce d’Antananarivo. »
Vahinala Raharinirina empêchée d’intégrer un labo à Fianarantsoa
On le voit, l’engagement de Vahinala pour son pays est incontestable. Mais elle le juge encore insuffisant. « J’ai le projet d’intégrer un laboratoire de recherche à Fianarantsoa dans lequel je pourrais être présente trois mois par an. Tout est prêt. Mon mari est plus que d’accord, il me soutient et serait prêt aussi à venir en renfort pour l’enseignement. On m’attend là-bas. Depuis deux ans et demi même. Le problème, c’est que ça coince au niveau de l’administration. On me refuse ce poste au seul motif que j’appartiens à la diaspora ! C’est vraiment dommage, compte-tenu du manque d’enseignants chercheurs et du besoin de redynamisstion de l’enseignement universitaire et de la recherche à Madagascar. Et puis, on ne peut pas reprocher à la diaspora de ne venir à Madgascar que pour les vacances, tout en lui interdisant d’apporter son aide quand elle le propose ! C’est absurde !».
La frustration de Vahinala Raharinirina est perceptible : « Compte-tenu de l’état dans lequel se trouve Madagascar, il faudrait miser et investir sur la formation des jeunes. Et toutes les bonnes volontés, qu’elles soient locales ou issues de la diaspora, devraient être les bienvenues. J’incite d’ailleurs les nombreux enseignants-chercheurs malgaches expatriés ou les jeunes qui ont acquis des connaissances dans les meilleures universités et grandes écoles d’Europe, d’Asie et des USA, à revenir quelques mois par an à Madagascar, partager leur expertise à nos jeunes au pays. Ce serait une belle contribution à la reconstruction de Madagascar. »
Pour terminer, Vahinala, tient à réaffirmer sa double-culture : « J’aime la France. Mon pays d’accueil et d’adoption. Mais mon pays, mon premier pays, c’est Madagascar ! » Par ses mots, mais aussi par ses actes, elle nous en convainc sans problème.
Retrouver Vahinala Raharinirina sur son blog.
Voir le site de l’association Kilonga.
Consulter l’Atlas des conflits environnementaux (1350 conflits recensés. Une mine d’informations).
Plus d’infos sur le travail universitaire de Vahinala Raharinirina (livres, articles, récompenses).
Retrouver tous les épisodes de la rubrique Talents.