Peut-on apprécier « Ady Gasy » sans connaître Madagascar ?
|Depuis sa sortie dans les salles de cinéma françaises, le film « Ady Gasy » n’en finit plus de passionner la communauté malgache de l’hexagone et plus généralement tous les amoureux de Madagascar. Mais qu’en pensent les spectateurs qui n’ont jamais mis les pieds sur la Grande Ile ? Pour le savoir, Le Malagasy Club de France s’est adressé à Jane Hitchcock, une journaliste n’ayant aucun lien avec Madagascar. Pour nous, elle a accepté d’aller voir Ady Gasy et de nous dire ce qu’elle en a pensé. Voici ses impressions de spectatrice.
Ady Gasy, le lundi 4 mai à 15h40, ne devrait pas attirer les foules, même à l’espace Saint-Michel, sur la très huppée rive gauche de Paris. Et pourtant : une trentaine de spectateurs se trouve déjà dans la salle au démarrage de la projection du documentaire. Ont-ils cherché l’abri d’un cinéma pour échapper à la pluie et s’évader du train-train de leur confortable vie de retraités ou de chômeurs ? Ou veulent-ils sincèrement observer ce Madagascar qu’ils connaissent bien ou si peu ? Personnellement, ma curiosité a été mon guide.
« Un film subtilement militant »
Je n’ai qu’une vague idée de l’île et de ce que sa population y fait. Deux de mes connaissances, de nationalité française, y ont vécu ou y vivent toujours et j’ai en mémoire des bribes de leur ressenti : « Pays pauvre, intégration difficile, richesses humaines ». Ayant moi-même grandi et travaillé dans l’une de ces régions les plus « reculées » du monde, précisément en Egypte, je ne tombe pas de l’armoire, en voyant les premières images du film, que je qualifierais de subtilement militant.
Le réalisateur montre sans détour le quotidien de ces Malgaches qui, avec rien, font ce qu’ils peuvent et surtout tout le temps, ensemble, et beaucoup. Des rois de la débrouille, ces fameux « Ady Gasy ». Qui fabriquent des sandales avec des pneus, qui conçoivent des lampes à pétrole avec des ampoules grillées et des boîtes de conserve, qui font du savon noir avec des os de zébus. Et j’apprends que le système D de ces familles entières se transmet de génération en génération : la vente sur les marchés de ces « articles » ou leur troc les fait (sur)vivre.
Alors même qu’il est bien sûr possible d’acheter simplement ces produits dans le commerce et à moindre coût, mon compagnon, un Français pure souche qui n’a jamais évolué en dehors du « neuf-trois » et qui n’est parti en vacances que dans les eldorados américains, me souffle : « De véritables Mac Gyver, les Malgaches ! ». « Je ne pensais pas », conclura-t-il.
« A croire que l’épuisement est le luxe des bourgeois »
Penser quoi ? Que des gens qui n’ont pas le sou ne passent pas leur temps à se plaindre de ne pas en avoir ? Qu’ils endurent avec un sourire non feint leur « autarcie » imposée par la crise ? Que celle-ci n’a manifestement pas diminué ni leur courage ni les espoirs qu’ils fondent dans une vie meilleure ? Ce qui m’étonne tout de même, c’est la force mentale de ces Malgaches décrits dans le documentaire. Ils restent stoïques devant l’adversité (ils marchent, marchent, marchent, et ne semblent jamais fatigués… à croire que l’épuisement est le luxe des bourgeois). Et ils ont tous des valeurs à transmettre : l’enseignement de leur activité, les proverbes de leurs ancêtres, la conscience d’être heureux et riche tant qu’ils ont une âme et développent leur intelligence, la parole, aussi.
« Une plaidoirie poétique »
Les musiciens et Blandine, fils conducteurs de cette plaidoirie poétique, arrivent parfaitement, à mon sens, à toucher leur public lors du concert qu’ils donnent à la fin de la séance. Leur show et ce qu’il a provoqué dans la foule m’ont même arraché les larmes : de voir tant de sourires et ces enfants danser aux sons des instruments construits de briques et de brocs m’a vraiment émue. Parce qu’en fait de concert, personnellement, j’ai pris cet événement pour une manifestation. Sans les étendards des syndicats que nous connaissons bien en France, ni les Kalachnikov de l’armée auxquels les Egyptiens goûtent depuis de nombreuses décennies. Un rassemblement comme mes deux pays n’en connaissent pas. Le point d’orgue joyeux d’une phrase citée au début du documentaire : « Un rocher est solide. Mais puisqu’il ne dit rien, les oiseaux lui chient dessus ». Le rocher a parlé… Non ?
Jane Hitchcock