Etre malgache : l’indignation plutôt que la honte !
|« J’ai honte d’être malgache ». Depuis hier, cette terrible phrase fait le tour du web malagasy. Elle a déjà suscité plusieurs centaines (voire milliers) de commentaires et provoqué presque autant de prises de bec. Bref, elle fait le buzz. Elle fait le buzz, mais pas sur n’importe quel sujet : la question de l’identité personnelle et de la fierté collective est un sujet ultra sensible chez tous ceux qui tirent de Madagascar tout ou partie de leurs origines. Pour cette raison, le MCF a voulu donner son point de vue et partager sa position.

La honte d’être malgache est injustifiée. L’action collective, elle, est possible et nécessaire (DESSIN Alx)
Aveu idiot ou provocation utile ?
Pour rappel, l’origine du buzz, c’est ça : une image créée et postée sur Facebook par un certain Kheops Ramada puis relayée sur Linkedin par Tati Ghislain. Sur l’image, rien d’autre que ce texte : « J`ai Honte d`être Malgache. Malgaches, Malagasy, Gasy, trois mots pour la même signification: un pays de Lâches et de Corrompus! Et on se demande pourquoi les étrangers règnent en Rois à Madagascar. Bienvenu au pays sans Avenir. »
Les mots sont durs et lourds, le texte est direct et sans détour. Mais quelle était l’intention de l’auteur ? Insulter ou avertir ? Cette question divise les internautes. Quand certains dénoncent un acte blessant, stupide et anti-Malgache, d’autres y voient un trait de génie à interpréter au second degré, une provocation salutaire appelant les gasy au réveil et au sursaut.
Kheops Ramada a expliqué son post sur Linkedin. Il dit qu’il voulait dénoncer les Malgaches « assis à se plaindre dans leur chaise sachant que leurs vies dégringolent ». Son but pourrait se résumer ainsi : dénoncer la lâcheté complice de tous ceux qui ne font rien pour redresser le pays et qui se taisent devant la corruption. On peut disserter sur la méthode (la provocation a ses adeptes autant qu’elle a de détracteurs), mais pas sur la réalité des intentions affichées : il est fort peu probable que Kheops Ramada ait réellement honte d’être malgache. Car la honte appelle au silence et à la discrétion. Celui qui a honte de quelque chose ne se hisse pas sur une estrade pour le crier au monde entier. Il dissimule l’objet de sa gène plutôt que de l’exposer !
Il est une chose certaine, ce post de la honte (ou ce post salvateur, c’est selon) a un beau mérite : celui d’avoir suscité un débat.
Imbécile heureux ou pessimiste coupable ?
Il faut dire que tout sujet touchant à Madagascar est ultra sensible (preuve s’il en fallait que la grande majorité des Malgaches connectés, expatriés ou non, sont très attachés à leur pays). Gare à celui qui ose émettre la moindre critique : il trouvera toujours face à lui un internaute tout prêt à sortir ses griffes.
Pour beaucoup, Madagascar est un sujet sanctuaire que nul ne peut aborder autrement qu’avec miel et sourire. Certains de ceux-là vont même jusqu’à voir le bonheur d’une vie simple, saine et mesurée là où il n’y a que misère, maladie et manque de tout. Madagascar est trop souvent idéalisé par d’indécrottables optimistes persuadés qu’un pays si riche en ressources naturelles ne peut que s’en sortir. C’est faux. L’opulence en matières précieuses est un atout autant qu’elle est un risque : elle a déjà conduit bien d’autres pays instables dans de profondes et violentes abîmes. Dans certaines situations, « Riche à en crever » est une expression à prendre au pied de la lettre. Madagascar est riche. Riche à en crever ?
Un imbécile heureux est tout aussi dangereux pour Madagascar que ne le sont les vautours sans pitié de toute nationalité. A l’inverse, « Un pessimiste étant un optimiste bien informé » (André Compte-Sponville), son discours vaut souvent la peine d’être écouté. Alors laissons-le parler.
Éternelle lamentation ou action concrète ?
Si le sujet de l’identité malgache est aussi sensible, c’est aussi sans doute parce que face à la situation dramatique que vit le pays (une situation ancienne), resacon.com beaucoup se demandent quoi faire et comment agir. Dans le domaine, il existe pourtant des tas de possibilités. Madagascar est comme tous les autres pays : il a besoin que l’outil humain s’investisse dans tous les domaines. A chacun de choisir le sien en fonction de ses disponibilités, de ses compétences et, surtout, de son tempérament.
Dans la culture (comme Gwen Rakotovao qui quitte parfois New-York pour enseigner la danse à Mada), dans l’artisanat (comme Bryan Imad qui ouvre le marché français à des artisans malgaches), dans l’événementiel (comme Valéry qui a créé un festival à Fianarantsoa), dans le sport (comme Anthony Ralefy qui nage sous les couleurs de Mada), dans les sciences (comme Jocelyn Ramaroson qui planche sur des problèmes environnementaux), dans l’économie solidaire (comme Vahinala Raharinirina qui encourage le développement d’une exploitation d’huiles essentielles), dans l’humour (comme Nirina et ses vidéos), sans oublier tous ceux qui font rayonner Mada en dehors de ses frontières (Judith Olivia Manantenasoa, Soma Salegy, Raboussa, Nina’s, Lova Nantenaina, Jean Razafindambo…) Bref. Ce ne sont là que quelques exemples piochés sur un petit site modeste et récent. Des milliers d’autres auraient pu être cités. A nous de nous y intéresser et de nous en inspirer.
Et n’oublions pas la politique. Car c’est encore là que se trouvent les premiers leviers du changement, c’est encore là que se prennent les décisions. Or, ce champ est à réinvestir. Toavina Ralambomahay (plutôt doué lui aussi dans l’art de la provocation) fait partie des rares qui rêvent encore aux batailles d’idées et aux combats idéologiques. La politique a besoin d’adversaires et de contradicteurs. Des places sont à prendre (avant même de parler de postes !). Avis aux courageux.
Avoir honte d’être malgache ou souhaiter le devenir ?
Doit-on avoir honte d’être malgache ? Jamais. Un Malgache doit-il s’indigner ? Plus que jamais. Le sentiment de honte est aussi inutile qu’injustifié tandis que l’indignation, quand elle appelle à l’action, est aussi saine que légitime. N’acceptons pas l’inacceptable. Et pour ceux qui auraient honte d’être malgache (ceux qui mentent sur leurs origines ou qui parlent français entre compatriotes), n’oubliez pas qu’une grande partie du monde vous regarde avec envie, que des étrangers se démènent pour apprendre la langue que vous abandonnez et que d’autres encore pleurent à chaque nouveau malheur qui s’abat sur Madagascar.
N’oublions pas non plus que l’identité malgache ne se limite pas à une petite carte plastifiée. Elle se partage, qu’on le veuille ou non. Je pense en particulier à ce message envoyé hier soir par un certain François sur la boîte mail du MCF : « Je suis un zanatany âgé (NDLR : zanatany=étranger né à Mada). Mes ancêtres sont arrivés sur l’Ile vers 1893. Je parle et j’écris le malgache. Hélas mes derniers jours vont se dérouler ici, an-dafy (en FRANCE). J’ai acheté un lamba mena (linceul) et mes enfants savent ce qu’ils doivent faire au moment venu. Car eux aussi comprennent le fomba malagasy (NDLR : les traditions) » Un Français qui veut mourir en malgache : ça a pas un peu de la gueule ça ? Le genre de témoignages qui met la honte aux honteux !
Et pour ne rien vous cacher, je pense aussi à mon propre cas. Vazaha pure souche, j’ai tendance à penser que les ancêtres de mes enfants sont aussi les miens. Et j’en suis fier. Avis aux nationalistes de tout poil : un pays appartient à ceux qui l’aiment avec respect. Madagascar ne fait pas exception.
Ceux qui ont le même point de vue sont invités à partager l’article. Ceux qui ont quelque chose à ajouter ou à reprocher peuvent le commenter. Mais on peut aussi faire les deux !
En bonus : un hommage en musique à tous les imbéciles heureux du monde entier qui croient leur pays vierge de tout défaut (chanson de Brassens).
« Les imbéciles heureux
Qui sont nés quelque part.
Le sable dans lequel
Douillettes leurs autruches
Enfouissent la tête
On trouve pas plus fin. »