Ady Gasy, le film : bonheur et colère du réalisateur
|Dans sept jours, un film malgache sortira en France. Est-ce que le Malagasy Club de France pouvait ignorer un tel événement ? Non. Voici donc une interview du réalisateur de « Ady Gasy », Lova Nantenaina, qui a accepté de nous parler de son film, de sa joie et de ses futurs projets. Mais aussi de sa grande colère contre les autorités malgaches.

Lova Nantenaina, réalisateur heureux de « Ady GAsy »
Malagasy Club de France : Le projet Ady Gasy a pris quatre ans de votre vie. Que ressentez-vous maintenant qu’il est enfin projeté sur des écrans ?
Lova Nantenaina : « C’est vrai que Ady gasy m’a demandé beaucoup d’efforts et de concessions ces quatre dernières années. Mais c’est normal. C’est mon métier ! Maintenant, je suis vraiment content d’observer le résultat : voir son film diffusé en salle, c’est le but de tout cinéaste ! Mais pour moi, le projet Ady Gasy n’est pas fini. Nous sommes juste entrés dans une nouvelle phase : celle de la diffusion. Et ça donne une super énergie ! »
Vous parlez d’efforts. Qu’est-ce qui a été le plus dur ?
« Le plus dur ? Techniquement, je pense que ça a été le montage, et plus précisément : le sous-titrage. Nous voulions restituer toute la beauté de la langue malgache et respecter ce qui fait son essence même. Ça n’a pas été facile mais je pense qu’on a fait le nécessaire. »
Ady Gasy rend hommage à l’ingéniosité malgache et au bon sens du recyclage dans un monde où la surconsommation abime tout. Cet hommage est juste. Mais ne craignez-vous pas qu’il véhicule une idée reçue du style « les Malgaches n’ont rien mais s’en contentent avec bonheur » ?
« Une fois qu’un réalisateur a terminé son travail, le film ne lui appartient plus vraiment. En tout cas, il n’a plus aucune maîtrise sur la manière dont les spectateurs le regarderont et sur ce qu’ils vont en penser. Mon documentaire, les gens l’interpréteront comme ils le veulent, librement, en fonction de leur histoire personnelle ou de leur culture audiovisuelle.
En tout cas, moi, ce que j’ai voulu mettre en avant avec Ady Gasy, c’est cette force qu’ont les Malgaches à trouver des solutions en situation de crise. Une force qui peut avoir valeur d’exemple dans un monde où les matières premières s’épuisent. Vous savez, la plupart des spectateurs étrangers qui ont vu Ady Gasy sont en admiration devant le savoir-faire malgache ! Alors que la société malgache, elle, méprise et rejette trop souvent ces gens qui récupèrent et recyclent toutes sortes d’objets. Il n’y a pourtant aucune raison de les regarder avec condescendance : n’oublions pas qu’ils ont inventé le développement durable avant tout le monde, qu’ils participent à l’économie, qu’ils gagnent de quoi envoyer leurs enfants à l’école… Ils sont la preuve même qu’on peut avoir d’autres ambitions que de devenir fonctionnaire ou businessman à Madagascar. Voilà ce que montre Ady Gasy, un film qui questionne le réel. »
On le voit, Ady Gasy tourne beaucoup à l’étranger, notamment dans les festivals (USA, Canada, Pays-Bas, Corée, France…). Est-ce que les réactions que le film suscite varient d’une région du monde à une autre ?
« Oui. En Allemagne et aux Pays-Bas, les gens ont surtout posé des questions très pointues sur le recyclage. Au Canada, on m’a beaucoup parlé de l’énergie que dégageait le film et de l’avance qu’auraient les Malgaches dans le domaine du recyclage. A Toronto, on a même voulu me faire visiter une déchetterie pour me montrer l’étendue du gaspillage ! Malheureusement, nous n’en avons pas eu l’autorisation. »
Et à Madagasar ?
« Les gens sont très étonnés. Comme s’il s’agissait d’un réenchantement de la réalité. Et puis la dimension « art oratoire » de Ady Gasy est aussi très appréciée là-bas. »
Restons à Madagascar. Quel regard portez-vous sur le cinéma malgache ?
« Le cinéma malgache est naissant. Ou plutôt : renaissant. On voit réapparaître des fictions de très bonne qualité, de très bonne facture. Le genre de films que plus personne n’a honte de regarder. On voit aussi de très bons documentaires et des films d’animation de plus en plus reconnus et appréciés au niveau international. »
Le cinéma malgache se porte bien alors ?
« Non, pas vraiment. Parce que côté diffusion, ça ne va pas du tout. Il n’y a presque plus de cinémas. On ne sait pas où projeter les films. On peut trouver des salles mais leur location coûte très cher et, en plus, les communes prélèvent 20% de taxes sur chaque ticket (contre 5% sur les concerts) ! Et attention, cet argent ne sert pas à financer le cinéma ou la culture ! Ni, manifestement, à réparer les routes délabrées ou à ramasser les poubelles qui débordent et qui puent ! »
Mais il y a les diffusions à la télé…
« Figurez-vous que les télés refusent de payer en échange de la diffusion d’un film. Elles nous disent : « On passera votre film et ça vous fera de la pub » ! Ça ne viendrait pourtant à l’esprit de personne de dire à un cultivateur « Donne-moi ton riz. Je vais le manger gratuitement et ça te fera connaître ! »
Un film est aussi un produit. Si personne ne veut payer pour l’acheter, il n’y aura plus personne pour le fabriquer. »
Des gens vous rétorqueront que si les films gasy ne sont pas diffusés c’est parce qu’ils sont mauvais. Que leur répondez-vous ?
« Qu’il y a de très bons films et que si les télés payaient pour les diffuser, les productions malgaches bénéficieraient de meilleurs budgets et gagneraient encore en qualité. Et puis, rendez-vous compte : les chaînes préfèrent maintenant passer des séries coréennes mal jouées et très mal doublées en français. On ne me fera pas croire que personne à Madagacsar ne peut faire mieux que ça ! Et que les gens ne préféreraient pas regarder des films tournés chez eux ! »
On vous sent en colère…
« Je suis même très très en colère et je ne suis pas le seul. D’un côté l’Etat et les collectivités locales nous taxent comme si nous étions des vaches à lait et, de l’autre, rien n’est fait pour nous aider. S’il n’y a pas d’argent à donner pour soutenir le cinéma malgache, très bien, mais qu’au moins l’Etat légifère comme le font la plupart des pays du monde pour défendre et protéger les productions locales ! Des états comme le Maroc ou le Brésil (NDLR : et aussi la France), obligent les chaînes à diffuser un minimum de productions nationales. Pourquoi pas Madagascar ?
Récemment, un ami réalisateur africain m’a dit : « L’enfant qui ne reçoit pas à manger dans sa propre maison finit par changer de maison« … C’est ce qui risque de se passer. L’Etat malgache ne nous donne rien. Rien de rien. Le vide intersidéral. On doit faire appel aux étrangers. Et c’est seulement depuis que le film commence à avoir du succès que Madagascar se rappelle que je suis malgache… »
Comment faire pour changer ça ?
« C’est à nous, réalisateurs, de nous rassembler et de nous organiser. Nous le ferons. »
Des projets pour la suite ?
« Oui. Quand je trouve du temps (dans les transports, une gare ou un aéroport), j’écris. Je travaille sur une fiction cette fois. Je ne veux rien dévoiler de l’histoire pour le moment mais je peux vous dire que j’ai des envies de grands espaces, de hautes herbes, de beaux paysages, de sensations de campagne, d’endroits qui respirent… »
Rendez-vous dans quatre ans alors ?
« Ah non ! J’espère avant. Dans deux ou trois ans peut-être. Quatre ans, c’était pour ce premier long-métrage, j’avais des choses à découvrir… »
Pour tout savoir, rendez-vous sur le site d’Ady Gasy. ou sur la page Facebook d’Ady Gasy.
Où voir Ady Gasy ?? Villes, horaires et salles par ici ! (Ajouté le 25 avril 2015)
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