Valéry : deux pieds dans le reggae, deux mains dans le cambouis

A Madagascar, le Fianar Reggae Festival s’apprête à vivre sa troisième édition. Rien que pour ça, Valéry, le co-fondateur franco-gasy de l’événement, méritait son portrait dans notre rubrique Talents.

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Valery a beau chercher l’anonymat, avec une coupe pareille, il finit toujours par être reconnu (Photo Rija Dominique)

Digne représentant du mora mora malgache, Valéry a poussé le vice jusqu’à embrasser la nonchalance rastafarienne. Allergique aux contraintes, à l’ordre et au conformisme, il n’éprouve pour le travail et la frénésie qu’une tolérance très modérée. Néanmoins, lorsque lui revient une tâche touchant à ses passions, (l’art en général, la musique en particulier et le reggae précisément), alors notre rasta franco-gasy ne manque ni d’idées, ni d’ambition, ni même (osons le mot) de courage. Illustration de ce faux paradoxe : il est en train, (mine de rien) d’asseoir dans le paysage culturel malgache le premier festival reggae de l’ïle.

Débarqué à Aix avec deux sacs et un djembé

Né à Tana en 1976, Valéry met un peu de temps à trouver sa voie (mora mora qu’on vous dit!). Sorti bachelier d’un lycée catholique de la capitale en 1995, il s’engage sans conviction dans des études de gestion. Mauvaise pioche : « A part faire la fête et picoler, je n’ai rien foutu pendant deux ans », résume-t-il dans une demi-mesure qui lui est propre.

Du coup, en 1998, à la faveur d’un bon plan, il décide de quitter Mada, la gestion et les institutions catholiques (les deux dernières l’ont sans doute perdu à tout jamais mais il est peu probable qu’elles le regrettent). « J’ai débarqué à la gare routière d’Aix-en-Provence avec mes deux sacs et mon djembé. Je ne connaissais personne. Un ami de la famille est venu me prendre, m’a déposé à la cité U, m’a trouvé une chambre, et c’était parti. »

Parti pour quoi ? « Pour quatre ans d’études aux Beaux-Arts, spécialité volumes et sculptures« . Et en langage Valéryen, qui dit nouvelle école, dit nouveaux potes et nouvelles fêtes. « Comparé à mes études en gestion à Tana, c’était le paradis ! »

De plongeur à commis, de commis à chef
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(photo Rija Dominique)

2002 : fin des études, poursuite de la bringue et début de « la glande ». « C’était pas avec un diplôme des Beaux-Arts que j’allais trouver un boulot », précise Valéry comme s’il se remémorait fièrement un plan déroulé sans accroc. Pendant quatre à six mois, il savoure pleinement son mode de vie. Mais, l’argent venant à manquer, et son frigo à se vider, il se lance, résigné, en quête d’un travail. Une quête déterminée et aventureuse qui le mène… au rez-de-chaussée de son immeuble. « En fait, un de mes colocs avait pensé à sonner à la porte du restau « Chez Laurette » qui se trouvait en bas de notre appartement. Il a été pris et moi, je l’ai suivi ».

En suivant son pote, Valéry, sans le savoir, met plus que le doigt dans un domaine qui va le passionner : celui de la cuisine. « J’ai commencé à la plonge. Pendant plusieurs mois. Mais comme le commis était sur le départ, il m’a formé et je suis devenu commis. Puis ça a été au tour du chef de me former avant de quitter le restaurant. Du coup, je suis devenu chef ».

Ainsi, chaque jour pendant cinq ans, Valéry cuisine des plats méditerranéens pour des centaines de personnes. La cuisine est un art exigeant, éreintant même, mais reste un art. Notre homme est donc conquis. « En plus, dans l’équipe, on était tous potes : c’était les collègues des Beaux-Arts et il y avait une ambiance géniale. A part le coté « usine » de ce travail, j’adorais ça ».

De l’art lyrique au reggae

L’expérience chez Laurette prend fin en 2007. Cette année là, Valéry fait la rencontre d’une fille. Et quand celle-ci trouve un job à Madagascar (c’est le hasard et il fait les choses super bien), Valéry rend son tablier et décide de la rejoindre. Un retour au pays 100% justifié : la demoiselle en question deviendra sa femme et la mère de ses enfants. Bien vu.

En 2008. Pourtant, le boulot l’appelle de nouveau à Aix. « J’ai reçu un coup de fil d’un pote. Il m’a dit : « la régie du festival international d’art lyrique a besoin de toi. Il faut que tu sois là dans quinze jours! ». Comme ça faisait un moment que je cherchais à m’introduire dans ce festival, j’ai sauté dans un avion et je suis parti. » Depuis, Valéry est intermittent du spectacle et le festival d’Aix est toujours son principal employeur.

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(photo MCF)

En parallèle à ce parcours professionnel aussi riche que varié,  notre ami chevelu continue de nourrir sa passion première : le reggae. « Ça m’a pris au lycée. Avec Bob Marley, comme tout le monde. Avec un ami on était à fond. Pourtant, c’était pas facile de s’intéresser au reggae quand on a seize ans à Madagascar dans les années 90. A l’époque, ça n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui et internet n’existait pas. Alors on cherchait des cassettes sur les marchés, on écoutait des émissions spécialisées et on réclamait des copies aux animateurs ! »

L’alliance avec Reggasy

Valéry doit cependant attendre la France pour assister à son premier concert de reggae. « Dans mes souvenirs, c’était au festival des Voix du Gaou ». Dès lors, sa culture reggae s’étoffe à l’image de sa touffe : en long, en large, en travers et de façon remarquable.

Aujourd’hui, et depuis deux ans, il met cette culture et cette passion au service du festival qu’il organise : le Fianar Reggae Festival. « A Fianarantsoa, par l’entremise du chanteur Lolo, j’ai fait le rencontre de Christian, le leader de Reggasy. On est devenu super potes et l’idée d’organiser un festival de reggae à Madagascar a vite fait partie de nos projet. Pendant très longtemps, on n’a fait qu’en causer, mais en janvier 2013, on s’est dit « allez, ce sera pour cette année et ce sera à Fianar. » »

Cofondateur avec Valéry du Fianar Raggae Festival
(photo Bary Malandimongoloo)

L’événement s’organise en un temps record. A Pâques 2013, pendant trois jours et sur trois sites différents, neuf des meilleurs représentants du reggae se succèdent sur scène. Les spectateurs sont plus nombreux que prévus, les nuits sont longues et les initiateurs du projet sont contents. « Tout s’est super bien passé, c’était un succès ».

Et honnêtement, ils ont raison d’être fiers. Parce qu’organiser un tel événement était un défi : rien ne leur garantissait de rameuter du monde pour écouter du reggae à Mada, qui plus à Fianarantsoa, une ville qui traîne comme un boulet sa réputation de bled endormi et déclinant. « C’est justement parce que tout le monde à Mada racontait qu’il n’y avait rien à faire à Fianarantsoa qu’on a décidé d’organiser le festival là-bas. Désormais, plus personne ne peut dire qu’il ne se passe rien à Fianar! »

Et apparemment, le message passe. « Dès la fin de la première édition, des tas de groupes de tout le pays nous ont contacté pour participer au festival suivant. Et à la deuxième édition, on a croisé des spectateurs venus de toutes les provinces. Des gens qui habituellement ne viennent jamais à Fianar« .

De plus en plus gros, de plus en plus fédérateur
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(photo Bary Malandimongoloo)

Les années passent et le festival s’installe doucement. En 2015, il s’ouvrira même à l’international avec deux groupes venus de Maurice et peut-être même d’autres surprises (le programme n’est pas encore tout à fait  bouclé). Une chose est sûre : cette fois encore, il y aura plus de groupes, plus de bénévoles, plus de partenaires et plus de sites réquisitionnés.

Le reggae va encore sonner dans tout Fianar pour une nouvelle fête populaire et fédératrice. Un point auquel Valéry attache beaucoup d’importance : « Habituellement, Fianarantsoa est très fragmentée, chaque couche de sa population fréquentant ses spots habituels : les karana par ici, les vazaha par là, les chinois, là-bas les gasy de ce côté, les friqués dans ce coin, les classes moyennes ailleurs… Mais au festival de reggae, l’an passé, on a vu tous ces gens se réunir pour écouter la même musique. C’est nouveau, et c’est bien ! »

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Le but premier de ce festival n’est pas pour son organisateur de ramasser du blé Mais si ça arrivait? « Si ça arrivait, je ne dirais pas non. Dans ce cas, j’en ferais mon boulot. Mais surtout, avec les tunes, je ferais venir les potes des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. J’aimerais qu’ils débarquent et apportent leur grain de sel ! » conclut un Valéry à deux doigts de s’emballer mais reprenant aussitôt une activité normale : trouver un verre, un briquet, et un pote.


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