« Aucun Malgache ne croit en son pays ! »
|Il y a sept jours, nous évoquions la récente sortie du livre de Toavina Ralambomahay : « Comparatif Madagascar-Maurice, contribution au développement de Madagascar ». Sous un titre volontairement provocateur (Comment Madagascar a tout raté), la chronique de cet ouvrage non moins provoquant a déjà été lue plus de mille fois. Une belle audience pour le MCF, site naissant. Du coup, compte tenu de l’intérêt manifeste que ce sujet brûlant suscite, nous le remettons aujourd’hui sur le tapis avec une interview de l’auteur. Le débat continue. Toujours sans langue de bois, ni concessions.
(NB : Interview réalisée avec la participation de lecteurs du MCF. Merci à eux pour cette première !)

Toavina Ralambomahay
Malagasy Club de France : Vous semblez mettre dos à dos le peuple de Madagascar et ses dirigeants depuis l’indépendance. Est-ce à dire que les uns seraient autant responsables que les autres de la situation déplorable du pays ?
Toavina Ralambomahay : « Oui. La facilité, aujourd’hui, est d’accuser les hommes politiques. Et surtout certains noms cités dans le livre. Le rejet de la responsabilité est tel que le citoyen se croit spectateur et victime de cet échec. Ma génération est très tentée de refaire la même erreur en ne prenant pas ce pays en main, en trouvant des excuses pour ne pas s’engager ! La mode actuelle est d’être dans la société civile (donneuse de leçon), de faire du caritatif et de se féliciter de porter le statut d’observateur ! »
Ne pensez-vous pas que Madagascar ait, depuis les années 60, davantage souffert du néo-colonialisme que Maurice ? La France, en interférant dans les affaires malgaches, ne porte-t-elle pas aussi une part de responsabilité dans la déconfiture de la Grand ïle ? Cette question n’apparaît pas dans votre ouvrage…
« Chaque colonisateur a détruit chacune de ses colonies. Je n’ai pas encore trouvé un pays anciennement colonisé qui se félicite d’avoir eu un bon colonisateur. Mais nous, nous faisons une fixation sur la France. Comme si l’Angleterre, l’Espagne, la Belgique et le Portugal de l’époque avaient été des gentils… Maintenant, chaque Malgache devrait se lever et se tenir sur un pied d’égalité avec n’importe quel Blanc !
Ratsiraka dit dans un de ses livres, avec complexe ou orgueil, c’est selon, qu’il voulait faire comprendre à la France qu’un Malgache pouvait penser, et décider, qu’un Malgache pouvait diriger ce pays. On connait le résultat, mais le réflexe est bon !
Herizo Razafimahaleo, même sous pression lors des négociations avec Bretton-Woods (donc pas français) disait : « On a le même diplôme, les mêmes professeurs, on parle la même langue, on travaille dans les mêmes groupes, alors battons-nous ! ». Telle est la posture qu’il faut avoir maintenant. Oui, c’est pas facile, et alors ?
Quant à la France, oui, elle intervient étonnamment dans les affaires malgaches ! Mais là encore, tout n’est pas seulement la faute de la communauté internationale ! Où sont les diplômés malgaches ? »
Existe-t-il un personnage politique malgache qui trouve grâce à vos yeux depuis 1960 ? Ou bien tous sont-ils coupables du désastre malgache ?
« Il y en a qui ont essayé ! Ratsiraka et tous les Malgaches de 75 qui ont été aux rênes du pays, dans les directions des sociétés nationalisées, à la banque centrale, etc… ont essayé ! Mais on a vécu l’échec. C’était des jeunes fougueux mais certainement peu préparés à diriger un pays. Le pouvoir leur est très vite monté à la tête.
Ravalomanana a peut-être aussi eu cette fougue. Mais les bailleurs de fonds ont noté sa cupidité trop tard.
Pour les autres, soit ils ont juste géré la maison, soit ils ont juste fait de l’anti tel ou tel (surtout de l’anti-Ratsiraka). Et aujourd’hui, c’est juste du bling bling sans projets ni visions.
N’oublions pas Monja Jaona qui, même hors du pouvoir, s’est battu aussi. Mais son idéologie n’a pas survécu. »
Ravalomanana avait tenté un modèle de croissance s’appuyant sur les zones franches. Pensez vous que cette stratégie aurait pu marcher et constituer un levier de développement ? (Question posée par un lecteur du MCF, Raphael Ramaholimihaso)
« La stratégie de la zone franche a commencé sous Ratsiraka en 89 quand les partis de gauche ont quitté Ratsiraka… Mais, la crise de 91 a tout fait rater !
Madagascar a ensuite commencé à bénéficier de l’Africa Bill devenu AGOA en 1999 ! Mais la crise de 2002 a tout abimé !
Ravalomanana a réussi l’AGOA, obtenu le plus haut niveau d’aides venant de Bretton-Woods, a bénéficié de la découverte et de l’exploitation minière et du bois de rose, mais parce qu’il était un géant aux pieds d’argile*, il est tombé. »
L’île Maurice a fait le choix de se concentrer sur le tourisme haut de gamme. Pensez-vous que ce secteur puisse être un secteur viable sur le long terme à Madagascar ? (Question posée par Raphael Ramaholimihaso)
« Comme disait Razafimahaleo : « On peut avoir vingt Maurices » ! Et pas que ça ! »
Comment expliquer le manque de confiance à Madagascar ? (Question posée par Raphael Ramaholimihaso)
« Le problème c’est qu’aucun Malgache ne croit en ce pays ! Et je me rends compte que ça ne date pas d’aujourd’hui. Dans le livre d’Anne Marie Goguel, on y trouve la phrase suivante « [Professeur], donnez à notre enfant un diplôme qui puisse permettre à notre enfant de partir de ce pays sans avenir ». Désespérant. Vous me contredirez, et vous me qualifierez de méchant mais même ma génération court après la double nationalité !
Si, auparavant, toute la haute bourgeoisie aspirait à quitter ce pays et à n’y revenir qu’une fois un parachute obtenu (nationalité étrangère, compte cossu à l’étranger, biens immobiliers garantissant une rente, etc…) aujourd’hui, même la classe la plus pauvre aspire à trouver un job à Maurice, au Liban, au Koweit, etc…
Personne ne veut investir dans ce pays sauf ceux qui ont déjà autre chose ailleurs ! On croit devoir avoir un diplôme étranger pour avoir de la valeur ! On se dit : « on va prendre de l’expérience à l’étranger, et on n’y reviendra que lorsqu’on aura un bon matelas. »
Bien sûr, je comprends ce réflexe et il a été encouragé dans toutes les universités du monde, par exemple durant l’ère Meiji (NDLR : au XIXè au Japon), Mais la bataille, c’est aussi à Madagascar ! Ce n’est pas seulement un pays où on passe sa retraite ou ses vacances quand on n’a plus rien à perdre et quand on a le loisir de faire quelque chose pour Mada ! On se mouille ! On risque ! Et c’est ça qui fait la force d’un pays !
Si je dis faux, j’accepte le débat ! Qu’on en parle ! »
L’Etat doit-il davantage prendre part aux activités économiques de Madagscar. Ou alors, doit-il laisser la place aux initiatives privées ?
« Que les citoyens et les paris politiques commencent par dire à quel type de modèle économique ils aspirent ! Et non pas, comme en 1972, dire : « on n’aime pas les Français donc on nationalise et on centralise » pour finalement dire en 1991 (les mêmes qu’en 72 !) : « Il faut la libéralisation et les privatisations » ! Et maintenant, on se plaint du coût de la vie, de l’économie presque détenue par des étrangers.
L’expérience a montré que le marché est inévitable. Il nous reste donc la loi pour protéger chaque citoyen et leur garantir les droits reconnus par les conventions internationales : droits économiques, sociaux et culturels. Ces idéologies de gauche sont au pouvoir en Grèce, au Portugal et depuis plus d’une décennie dans plusieurs pays de l’Amérique latine.
Vous savez, si les partis n’ont aucune idéologie, c’est parce que les citoyens, aux premiers rangs desquels ceux qui aspirent à être intellectuels, n’en ont pas ! »
Pourriez vous préciser le sens de » le développement de Madagascar n’est pas un doux rêve » ? (Question posée par Raphael Ramaholimihaso)
« Madagascar a connu des périodes de croissance. De 85 à 89, la meilleure période ! De 97 à 2002 et de 2004 à 2009. Quoique, contrairement à ce que l’on pense, en 2009, Madagascar n’a fait que retrouver son niveau de 2001 ! Les pro-Ravalomanana vont se déchaîner contre moi avec ça mais ils peuvent lire le rapport de la Banque Mondiale.
Donc oui, on peut le faire ! »
Comment sortir de cette situation (remplacer qui et quoi et comment ?) Pourrait-on parvenir concrètement à changer les mauvaises pratiques? Où est la relève politique ? (Question posée par un lecteur, Andry Pavel Rajaonary de l’Institut national du tourisme et de l’hôtellerie (INTH))
« Tout le monde parle du devoir de changer. Changer les mentalités, les pratiques, etc… Le premier problème est que nous faisons de la résistance au changement car on croit qu’on est déjà bon, mais que nous n’avons pas les moyens… Le simple citoyen n’a pas les moyen car il se trouve pauvre ; le diplômé ne peut rien changer car il n’a pas de financement ; le fonctionnaire ne peut rien car il n’est pas chef ; le grand commis de l’Etat s’estime n’être qu’un technicien qui a servi tous les présidents et ministres…le président de la République, lui, pense qu’il n’est que le chef d’un tout petit pays !
Le deuxième problème c’est que personne ne propose ce changement en terme de projet de société. Cette question de l’adaptation de la culture malgache au reste du monde date de Ravelojaona et même plus… Preuve qu’on ne reconnait pas vraiment nos problèmes.
Pour la relève, oui, il manque cruellement de personnes ambitieuses qui osent aspirer ouvertement au pouvoir. Et de toute façon c’est culturellement condamnable d’avoir de la prétention à Madagascar. Je comprends votre question. »
Vous faites également de la politique. Vous qui regrettez le manque d’opinions tranchées dans le débat, pouvez-vous nous dire en une phrase où se situe Toavina Ralambomahay sur un plan économique ?
« Je suis de gauche, social démocrate. Né en 1981, je n’ai pas échappé aux idées de gauche. Mais nous vivons tous le libéralisme et, aujourd’hui, on doit admettre le marché. »
Et sur les questions de société (avortement, droit des homosexuels, peine de mort…) ?
« De gauche, oui, progressiste. Pour la dépénalisation de l’avortement, la liberté du corps humain, anti peine de mort. Madagascar vient d’abolir la peine de mort et c’est tant mieux. Mais, il n’y a eu aucun débat là-dessus… Où sont les penseurs malgaches ? Je n’arrive pas à prononcer le mot intellectuel… »
A la lecture de ce livre, j’en suis certain, beaucoup vous trouveront sévère, injuste et vous accuseront de ne pas aimer Madagascar et les Malgaches. Que leur répondrez-vous ?
« Pour ma part, je suis tombé dans la politique très tôt. Je continue. Est-ce que j’aime Madagascar ? Le parti auquel j’appartiens s’appelle Humaniste et Ecologiste. Alors chacun jugera. »
*Lire Madagascar dans une crise interminable de Toavina Ralambomahay. Essai publié aux éditions L’Harmattan.
Comparatif Madagascar-Maurice ; Contribution au développement de Madagascar est disponible aux éditions L’Harmattan. (au prix de 27 €).
Toavina Ralambomahay est également l’auteur du Tableau de science politique paru aux éditions Jeunes Malgaches.