Mathieu Briand à Madagascar : récit d’un naufragé volontaire

En 2008, Mathieu Briand, un artiste français, installe son atelier sur une toute petite île proche de Nosy Be. En compagnie de la poignée d’habitants qui peuple l’endroit, il planche et oeuvre sur des thèmes tels que la liberté, l’utopie et la piraterie. Une démarche artistique originale et culottée, mais aussi une aventure humaine et culturelle passionnante. Alors que l’exposition « Et in Libertalia Ego » est toujours visible à Paris, le MCF a interrogé Mathieu Briand sur ses relations avec ses complices locaux et sur les liens entre croyances séculaires et art contemporain.

Mathieu Briand,  autoportrait sur l'île (Photo Mathieu Briand)

Mathieu Briand, autoportrait sur l’île (Photo Mathieu Briand)

Malagasy Club de France : Quand vous arrivez sur l’île pour la première fois, vous vous apercevez qu’elle est habitée. En quoi cela vous effraie-t-il ? Pourquoi partez-vous ?

Mathieu Briand : « Je suis arrivé sur l’île de nuit, à la nage, et j’ai eu la sensation d’être un intrus s’introduisant sur un territoire habité. »

(Photo Mathieu Briand) libertalia

(Photo Mathieu Briand)

Finalement, vous décidez d’y retourner. Qu’est-ce qui a levé vos craintes ? Pourquoi vous laissez-vous guider par les femmes et les enfants qui vous accueillent ?

« J’étais venu à Madagascar pour voir cette île. Je m’y suis donc rendu à nouveau. De jour cette fois. Là, les sourires et les rires ont levé toutes mes craintes. Je me suis laissé guider car on m’a pris par la main. Cette gentillesse et cette familiarité envers un étranger m’ont touché. »

A force de fréquenter les gens de l’île, vous proposez à Papa (le chef de famille et le chef de l’île) de demander aux ancêtres de bénir votre rencontre. Quel est, au fond, le sens de cette démarche ? S’agit-il d’une forme de politesse, d’une démonstration de respect, ou bien vous êtes-vous laissé gagner par les croyances locales ? 

« J’étais venu pour « trouver » des pirates et ce que je découvre finalement, c’est un monde. J’étais très curieux de ce rituel et je me disais que ce serait une chose parfaite à filmer pour ma fiction. Je voulais faire de cette réalité inconnue à mes yeux une fiction. Il ne s’agit pas seulement d’une croyance, c’est aussi une histoire. Car au delà de la croyance, les rituels ont des fonctions, notamment celle de réunir les gens. Et, en ça, je ne pouvais que croire. »

(Photo Mathieu Briand) libertalia

(Photo Mathieu Briand)

A un moment, vous considérez l’éventualité d’un bungalow touristique sur l’île comme une forme nouvelle de colonisation. Pouvez-vous préciser votre sentiment vis-à-vis de la colonisation de Madagascar par la France? Est-ce un sujet dont vous avez parlé avec vos hôtes ?

« C’est un sujet complexe et brûlant dont nous sommes dépositaires, Français et Malgaches. Il est très dur aujourd’hui de nous défaire de nos rôles et préjugés. La colonisation est une chose à bannir, ici ou ailleurs. Il y a eu une colonisation active et officielle de la France par le passé mais il y a une exploitation active et extrême par d’autres pays dans le présent.

La population de Nosy Be durant la colonisation a été poussée sur les côtes pour que les français exploitent les terres. Et maintenant ils sont repoussés vers les terre pour que les touristes puissent jouir de la côte… Ce phénomène est mondial mais, compte-tenu de la pauvreté de Nosy Be, son impact est très important.

Nous ne pouvons pas aujourd’hui être responsables de tout. Le peuple malgache est totalement souverain. Il y a, chez les Malgaches comme chez les Français, des héros et des salauds. Il est aussi ironique de voir que certaines pièces de monnaie utilisées pour les tromba* sont des « Hercule » en argent datant de la colonisation avec inscrit dessus « liberté, égalité, fraternité… » Il faut dire qu’il reste peu de gens qui ont connu cette époque. Papa m’en a parlé mais comme d’une chose faisant partie de son histoire. Pour lui, les choses sont simples : peau blanche, peau noire : sang rouge. Ma démarche est aussi de montrer que l’on peut vivre ensemble sans automatiquement vouloir dominer l’autre. Je suis sur cette île car Papa l’a accepté et j y suis encore car j’ai respecté les règles. Mais jamais je n’ai voulu que cette île soit ma possession, cela n’aurait aucun sens. »

(Photo Mathieu Briand) libertalia

(Photo Mathieu Briand)

En mars 2012, vos créations sont détruites par Saïd, le fils de Papa. Il voyait en elles des actes de magie noire. Papa, lui, a pris votre défense. Pensez-vous aujourd’hui que les gens de l’île n’ont plus de doutes sur vos intentions ?

« Papa a toujours pu compter sur moi. Il ne m’a jamais vu faire des choses en contradiction avec mes paroles. Jamais je n’ai promis des choses que je ne ferais pas. J’ai toujours eu un rapport très direct avec Papa. Au bout de sept ans, je peux dire qu’il me fait confiance comme je lui fais confiance. Mais beaucoup dans la famille pensaient que ce que je voulais finalement c’étais posséder cette ile, posséder leur terre. Alors que la richesse de cette île c’est eux !

Beaucoup ont voulu leur acheter cette île. La plupart du temps pour une bouché de pain. Ça me dégoûte. C’est pour cela qu’aujourd’hui je finance un procès en leur nom afin qu’ils récupèrent définitivement cette île et que l’on continue si ils le veulent notre aventure.

Saïd, lui, est dans un temps différent. Il est comme la majorité : dans la précarité. Il a subi l’humiliation des touristes. Le blanc est riche et arrogant. Comment lui donner tort ? Alors notre relation est fluctuante. Nous nous projetons mutuellement l’un sur l’autre. »

Vous comprenez donc les peurs que vous pouvez susciter…

« Oui, bien sûr. Comment et pourquoi me faire confiance ? Pourquoi serais-je diffèrent des autres? Je crois que le temps à joué pour moi. J’ai toujours essayé de faire le maximum pour la famille et les gens autour… Je n’ai aucun compte à rendre mais je suis humain et tout ce que je peux faire pour aider l’autre je le fais. Surtout quand l’autre m’apporte autant. Le défi du post-colonisalisme est de briser cette peur et de se faire confiance. »

(Photo Mathieu Briand) libertalia

(Photo Mathieu Briand)

Sur l’île, votre projet créatif et vos réflexions artistiques se nourrissent des habitants, de leurs coutumes et de leurs traditions. A l’inverse, dans quelles mesures pensez-vous que l’art contemporain peut nourrir une culture ancestrale ?

« Je crois que l’art en règle générale est une nourriture intellectuelle et parfois spirituelle. Je crois que le croisement de cultures, lorsque qu’il est naturel, est un enrichissement.

J’espère que mon expérience avec ce projet va amener à considérer la culture comme une force. Il faut que la culture reste en mouvement sinon elle devient comme on le voit un peu partout finalement : un divertissement pour les touristes. Et à la fin on en oublie même ses origines et son sens. Il ne faut pas que la culture devienne non plus un paravent à la misère quotidienne que subit le peuple Malgache dans une totale indifférence.

Il faut regarder Madagascar comme un territoire culturel à découvrir plutôt qu’un territoire à exploiter. Il y a beaucoup d’initiatives et il faut les soutenir. Mais en ayant toujours en tête que le premier bénéficiaire doit être le peuple malgache. »

*tromba=invocation des esprits


 Exposition de Mathieu Briand à la Maison Rouge (Photos Marc Domage)
Mathieu Briand à la Maison Rouge (Photo Marc Domage)
Mathieu Briand à la Maison Rouge (Photo Marc Domage)
Mathieu Briand à la Maison Rouge (Photo Marc Domage)
Mathieu Briand à la Maison Rouge (Photo Marc Domage)
Mathieu Briand à la Maison Rouge (Photo Marc Domage)
Mathieu Briand à la Maison Rouge (Photo Marc Domage)

Mathieu Briand expose jusqu’au 10 mai 2015 à la Maison Rouge, 10 bd de la bastille. 75 012 Paris. Du mercredi au dimanche de 11h à 19h Nocturne le jeudi jusqu’à 21h. Fermeture le 1er mai. Plein tarif: 9 €. Tarif réduit : 6 € (13-18 ans, étudiants, maison des artistes, carte senior). Accès gratuit : moins de 13 ans, chômeurs sur présentation d’un justificatif (moins de trois mois),

Site de Mathieu Briand.