Judith Olivia Manantenasoa : danseuse à contre-culture
|Judith Olivia Manantenasoa est danseuse et chorégraphe. Elle habite Tana, mais ses créations la portent aux quatre vents, sur tous les continents. Dimanche 29 mars, elle sera en France, sur la scène du Ballet du Nord, à Roubaix. A cette occasion, nous voulions à tout prix tirer notre chapeau à l’artiste qui, malgré sa timidité, a accepté avec grande gentillesse de nous parler d’elle.

« Métamorphose », création de Judith Olivia Manantenasoa. (Photo Bari MalandiMangoloo)
A Madagascar, les bancs de l’église peuvent mener à des carrières aussi exceptionnelles qu’inattendues. Dans le genre, on se souvient de l’histoire du chanteur Salala. Voici aujourd’hui, celle de Judith Olivia Manantenasoa, devenue danseuse contemporaine dans un pays pourtant peu friand de cette discipline à contre-culture. Un détail qui rend son parcours plus exemplaire encore.
Aussi loin qu’elle se souvienne, Judith Olivia Manantenasoa a toujours aimé danser. « En tout cas, c’est ce que mes parents m’ont toujours raconté », précise-t-elle. Moi, je me souviens en particulier de mon premier spectacle. C’était pour une fête à l’église. Je devais avoir huit ou dix ans. »
Pour la petite Judith, la danse n’est alors qu’un plaisir d’enfant. Mais quelques années plus tard, un jour de 1994, le jeu se transforme en destin. « Ariry Andriamoratsiresy, le directeur artistique de la compagnie Rary, préparait à l’époque une thèse sur la danse. Le hazard a fait que, pour cette thèse, il a choisi d’étudier la classe à laquelle j’appartenais.«
La danse : un moyen d’expression pour Judith Olivia Manantenasoa

(Photo Bari MalandiMangoloo)
C’est ainsi, et pas avec n’importe qui, que Judith Olivia Manantenasoa fait ses premiers pas officiels dans le monde de la danse. Des premiers pas prudents. « A un moment donné, je me suis interrompu pour me consacrer à mes examens : le BEPC, puis le bac. Je n’ai réellement repris qu’en 2000, tout en poursuivant des études de communication et de gestion. »
Depuis, l’artiste n’a plus jamais cessé de danser. « Pour moi, qui suis timide, c’est un véritable et indispensable moyen d’expression. C’est ça qui m’a tout de suite plu dans la danse. Mais je ne suis pas la seule dans ce cas ! (rires). Et puis il y a aussi tout ce qu’il y a autour de la danse. Comme les lumières, les costumes, les formes… »
Au début des années 2000, entre des études universitaires réussies et un début de carrière prometteur, Judith Olivia Manantenasoa doit faire un choix : intégrer la vie active dite « classique » ou se lancer à corps perdu dans la danse. Une des ces deux options va s’imposer d’elle-même. « Vers 2002, avec la Compagnie Rary, nous avons donné un spectacle en Slovénie. C’est la première fois que je quittais Madagascar. Pour moi c’est un très très bon souvenir. A ce moment précis, j’ai réalisé que mon métier devait être la danse. »
C’est donc au cours d’un voyage que Judith fait son choix. Depuis, à chaque nouveau déplacement, elle réalise combien sa décision était la bonne : « Je prends tellement de plaisir à découvrir de nouveaux pays que, parfois, je n’ai même plus l’impression de travailler. Je n’y pense pas ! » Le monde est devenu son bureau, son terrain de jeu, sa piste de danse.
« Je voulais rester interprète… »

(Photo Bari MalandiMangoloo)
Comme d’autres danseuses (lire l’article consacré à Gwen Rakotovao), Judith Olivia Manantenasoa, oriente progressivement sa carrière vers l’art de la chorégraphie. « Au départ, ça ne me tentait vraiment pas, se rappelle-t-elle pourtant. Je voulais rester interprète et ne me sentais pas du tout à l’aise sur le terrain de la création. Dans la compagnie, Rary nous demandait souvent de créer une petite pièce mais j’esquivais et passais mon tour à chaque fois. Jusqu’au jour où j’ai réalisé qu’il me manquait quelque-chose. Jusqu’au jour où je n’ai plus osé refuser. Là, je me suis lancé ».
Désormais coiffée d’une seconde casquette (celle de chorégraphe), Judith Olivia Manantenasoa reste fidèle à la compagnie Rary mais multiplie depuis quelques années des projets parallèles plus personnels. C’est l’un de ces projets qui l’ont amené jusqu’à Roubaix, dans le nord de la France.
« Un jour, j’ai rencontré le chorégraphe français Olivier Dubois. C’était au Sénégal. Nous avons parlé de mes projets de création. A l’époque, il n’était pas encore directeur du Ballet du Nord à Roubaix, mais il m’avait dit qu’il me soutiendrait dès qu’il en aurait l’occasion. Et c’est ce qui s’est passé. Quand j’ai répondu à l’appel à projets « Visas pour la création », développé par l’Institut Français et Afrique et Caraibes en création, il a soutenu mon dossier. »
Grâce à ses références et à ce soutien, Judith Olivia Manantenasoa décroche le « concours » et atterrit donc à Roubaix, au Ballet du Nord, désormais dirigé par Olivier Dubois. « J’y suis resté de mai à juillet 2014. Ça ne s’est pas passé aussi bien que je l’aurais voulu car j’étais malade, mais j’ai bénéficié des nombreux conseils de la part de toute l’équipe de la compagnie. » Le spectacle du dimanche 27 mars s’inscrira dans la continuité de cette fructueuse collaboration.
« A Mada, la danse contemporaine n’amène aucun public »

(Photo Bari MalandiMangoloo)
La semaine prochaine, Judith Olivia Manantenasoa montera donc une nouvelle fois dans l’avion. A force de voyages, on pourrait se demander si vivre à Mada est la solution idéale pour mener au mieux une carrière dans la danse contemporaine. Cette question, notre chorégraphe se l’est déjà posée. Et se la pose encore. « Je ne me suis pas décidée« , dit-elle. Partir lui offrirait probablement une place plus centrale qu’à Madagascar où « la danse contemporaine n’amène aucun public« et où la nudité, « un sujet très spécial », n’est pas toujours facile à assumer. « A Madagascar, regrette Judith, il n’existe que deux festivals. Des festivals où ne figurent que très peu d’artistes étrangers. J’ai parfois l’impression qu’on tourne en rond. »
Judith Olivia Manantenasoa ne tient cependant pas à broyer du noir ni à pleurer sur le sort que Mada réserve à son art. Au contraire, elle trouve même des raisons d’espérer. « J’anime régulièrement des ateliers de danse avec les enfants. Ils sont très enthousiastes et beaucoup rêvent de faire ce que je fais. C’est vraiment quelque chose de très motivant ! »
Un jour, la danse contemporaine se fera une place sous le soleil de Mada. En attendant, Judith Olivia Manantenasoa continue de bouger sans arrêt. Après Roubaix, 2015 la verra danser au Congo, au Sénégal, au Mozambique et où son agenda la mènera. Partout où qu’elle ira poser ses pas de danseuse, Le Malagasy Club de France ne lui souhaite que du bon vent.
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