Jocelyn le prouvera : les ordures de Mada sont l’énergie de demain

Jocelyn Ramaroson est scientifique. En France depuis 2002, il est devenu, dans son domaine, un expert reconnu, écouté et demandé. Du coup, le Malagasy Club de France a voulu l’entendre et l’interroger. Et nous n’avons pas été déçu ! Pour la rubrique Talents, voici son portrait.

Certains prétendent transformer le plomb en or. Jocelyn Ramaroson, lui, sait transformer les déchets en énergie

Certains prétendent transformer le plomb en or. Jocelyn Ramaroson, lui,a appris à transformer les déchets en énergie et veut en faire profiter Madagascar

Jocelyn Ramaroson a trente-huit ans. Originaire de Fianarantsoa, ce docteur en génie des procédés et environnement est un spécialiste reconnu du traitement des déchets. Pour notre rubrique, il revient sur son parcours avec l’assurance d’un homme instruit, pressé et ambitieux, et nous confie ses espoirs avec la modestie de celui qui sait d’où il vient et ce qu’il lui reste à apprendre.

♦ Malagasy Club de France : Vous êtes aujourd’hui un expert reconnu exerçant sur plusieurs continents. Mais comment a commencé votre parcours ?

Jocelyn Ramaroson : « Aussi loin que je me souvienne, depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été premier de la classe. De la maternelle à la terminale, et dans toutes les matières. Philo, histoire, littérature, maths, physiques : j’ai toujours été passionné par tout ça. »

♦ Votre père est professeur de littérature française, votre mère, professeur d’anglais. Vous auriez pu suivre leur voie. Pourquoi avoir finalement choisi les sciences ?

« C’est vrai que j’ai hérité d’un ADN plutôt littéraire. Mais depuis que je suis gamin, je n’ai qu’un rêve : travailler dans une usine. C’est pour ça que j’ai choisi d’emprunter la voie des sciences et de passer un bac scientifique. C’était en 1996. »

♦ Votre bac en poche, vous quittez Fianarantsoa, la ville de votre enfance, et vous montez à Tana. Pourquoi ?

« J’avais passé le concours de l’école polytechnique de Madagascar. Nous étions environ 5 000 bacheliers à tenter notre chance. Pour 180 places ! Et puisque j’ai décroché la troisième place, j’ai été pris. J’y suis resté cinq ans, de 1997 à 2002 et je suis sorti major de promo. »

♦ Au cours de ces cinq années, vous vous êtes spécialisé dans le génie chimique. Pourquoi  ? Quelles étaient vos ambitions à l’époque ?

« Dans un coin de ma tête, je n’avais qu’une idée : contribuer au développement de Madagascar, permettre à mon pays d’entrer dans une ère industrielle, le mettre sur le chemin qu’ont suivi avant lui des pays comme la France. Or, pour que tout ça soit possible, il y a besoin de mettre au point des procédés industriels capables de transformer les matières premières et de produire de l’énergie. J’ai choisi le génie chimique car je savais que cette filière m’apporterait les connaissances nécessaires à la réalisation de ce projet. »

En 2013, cérémonie de remise de diplôme à Polytcehnique, Madagascar

Remise de diplôme à Polytechnique (ph. ISPM)

♦ Et pour contribuer au développement de Madagascar, vous vous êtes ensuite envolé pour la France. C’est paradoxal, non ?

« Je suis parti en Europe dans l’idée de revenir à Madagascar. Parce que j’avais encore de très nombreuses connaissances à acquérir et à ramener dans mon pays. »

♦ C’est là que vous avez intégré Centrale Paris…

« J’avais passé les concours des meilleures écoles françaises et j’ai en effet été reçu à l’Ecole Centrale de Paris, considérée comme la meilleure école du genre, juste derrière Polytechnique. Ça a duré deux ans. »

♦ D’un point de vue professionnel, que retenez-vous de ces deux années d’étude ?

« J’ai intégré Centrale Paris dans l’espoir d’apprendre concrètement à appréhender le monde industriel : comment construire une usine, comment la faire tourner, comment inventer un procédé précis à partir d’une page blanche… De ce point de vue là, je reconnais avoir été un peu déçu. La formation est restée très généraliste. Ce n’est pas un mal ni une critique, mais je m’attendais à autre chose. En revanche, c’est à l’époque de Centrale que j’ai attrapé le virus de l’environnement, que j’ai découvert l’enjeu des déchets, des émissions de carbone et de toutes ces choses. Depuis, je n’ai plus jamais quitté cette branche ! »

♦ Dès lors, vous avez commencé à exercer…

« Oui. J’avais encore tellement de choses à connaître que j’ai décidé de rester en Europe pour apprendre. A l’issue de mon stage de fin d’études, en 2004, j’ai été embauché chez Solvay, un immense groupe belge qui emploie 33 000 personnes dans le monde. Je bossais pour la branche écologie industrielle de l’entreprise (transformation des déchets, produits renouvelables…). Et parallèlement à ce travail en tant que salarié, je planchais sur mon doctorat que j’ai obtenu en 2008. »

♦ A peu près à la même époque, vous démissionnez. Pour quelle raison ?

« Nous étions en 2008. La crise financière commençait à sévir et l’entreprise a décidé de ralentir les recherches environnementales. Or, c’est précisément ce qui m’intéressait. Du coup, je suis parti. »

jo6

♦ Puis, de 2008 à 2014, c’est la période Armines.

« Oui. Cette entreprise m’a proposé un poste de chef de projet en charge des recherches environnementales en industrie. Habituellement, on ne devient pas chef de projet sans avoir dix ans d’expérience en ingénierie derrière soi. Mais moi, qui n’avais même pas quatre ans d’expérience, j’avais déjà un doctorat en poche. Je pense que c’est ce qui a fait la différence. »

♦ En quoi consistait alors le job ?

« J’ai, entre autres choses, travaillé sur la neutralisation de produits polluants et cancérigènes (métaux lourds et particules fines) qui s’échappaient des fumées de certaines industries. Des incinérateurs notamment. »

♦ Jusqu’alors, vous aviez toujours fait les bons choix. Un sans faute. Jusqu’à une nouvelle démission, en 2014…

« A l’époque, chez Armines, j’avais le sentiment d’avoir fait le tour et que les missions commençaient à se répéter. Alors, quand on est venu me chercher pour un nouveau projet très intéressant, à Metz, j’ai accepté et j’ai quitté Armines. »

♦ Malheureusement, ça ne s’est pas passé comme prévu…

« En effet. Tout partait pourtant d’une très bonne idée : extraire les métaux présents dans les boues et les déchets issus des industries sidérurgiques (cuivre, zinc, plomb, fer) grâce à un procédé très novateur. Seulement voilà, le patron de la boîte a dû affronter de lourds problèmes juridiques concernant à la fois l’exploitation du brevet industriel et les normes d’implantation de l’usine. Résultat : de mars à juillet 2014, je me suis retrouvé payé à ne rien faire, puisque sans outils ! Jusqu’au dépôt de bilan de l’entreprise. »

♦ Mais vous avez su rebondir !

« Exact. Depuis septembre, je suis à nouveau chef de projet. Cette fois, chez Europlasma, à Bordeaux. »

♦ Quelques mots sur cette entreprise ?

« Europlasma est une PME qui emploie 144 personnes. Son expertise est mondialement reconnue dans les domaines du traitement des déchets spéciaux (amiantes, cendres volantes, déchets nucléaires) : leur destruction, leur valorisation, ou leur transformation en énergie (électricité). »

♦ Que pensez-vous de cette nouvelle expérience qui démarre ?

« Grâce à ce poste, j’ai l’impression d’atteindre mon but, d’entrer dans le cœur du sujet, d’enfin travailler sur du tangible. Avant ça, j’avais toujours travaillé en labo ou en unité pilote, publié, assisté à des conférences… Maintenant, je prends des décisions, je définis des stratégies, je fais des choix techniques. Le tout sans avoir le droit à l’erreur : quand je travaille à la construction d’une usine, il s’agit de chantiers à plusieurs millions d’euros. »

EUROPLASMA (2)

A Morcenx (Landes), Europlasma met en service cette unité capable de transformer les déchets en énergie (photo Europlasma)

♦ Eurplasma est de plus en plus demandé à l’étranger. Ça aussi, c’est nouveau pour vous.

« Nous avons signé un gros contrat en Chine qui, dans certains domaines, a des normes environnementales plus exigeantes qu’en France.  Là-bas, nous avons pour mission de neutraliser des déchets qui contiennent certains métaux polluants grâce à un procédé de vitrification (en résumé, ce procédé permet faire fondre les déchets et de bloquer les métaux polluants dans du verre). Du coup, je suis allé là-bas au mois de décembre et il est possible que ce type de mission se renouvelle à l’avenir.

♦ En France, vous semblez atteindre des objectifs importants. Qu’en est-il de vos projets pour Mada ?

« Ces projets se précisent dans ma tête. Et pas que dans ma tête. Je commence à les écrire. Mon objectif de départ, celui que j’avais en commençant mes études, n’a pas changé. Disons que j’ai fait les trois quart du chemin et que je viens d’entamer le dernier quart. »

♦ Que vous manque-t-il ?

« Pour gérer le côté opérationnel d’un projet industriel, je ne suis encore qu’un débutant. J’ai encore des tas de connaissances à acquérir. Mais dans cinq ou dix ans, je pense que je serai prêt à mener des projets grandioses à Madagascar. Dans le domaine de l’environnement, des déchets, de l’énergie, et de la transformation des matières premières. C’est aussi le temps nécessaire à la recherche de partenaires et de contacts prêts à participer à tout ça. »

♦ Concernant vos contacts, des hommes politiques malgaches vous ont déjà approché et proposé des postes très importants. Pourquoi avoir refusé ?

« On m’a contacté, parce que des profils comme le mien, à Madagascar, il n’y en a pas trente-six. Mais j’ai refusé toutes les propositions qui m’ont été faites. La politique est une chose qui m’intéresse mais je ne m’engagerai dans cette voie que le jour où j’aurai un véritable projet à présenter et à mettre en place. La politique juste pour obtenir une chaise et de l’argent, je n’en veux pas. J’ai mieux à faire. Je préfère me concentrer sur mes projets industriels à Madagascar et réfléchir à la construction d’une usine capable de faire vivre 300 familles sur le long terme. La politique, ce sera pour plus tard. Si je me sens prêt et si la situation du pays m’en laisse la possibilité. »

♦ Ça fait treize ans que vous vivez en France. En 2008, vous avez même obtenu la nationalité française. Quelle place occupe désormais Madagascar dans votre quotidien ?

« C’est simple : Madagascar me manque chaque jour. J’aime la France et je sais que j’ai eu de la chance de venir ici pour étudier et travailler. Quand je peux, je donne d’ailleurs des conseils et de l’aide aux jeunes malgaches qui veulent également étudier en France. Histoire de contribuer un peu à leur avenir et à celui de mon pays, un pays auquel je pense tout le temps. »


 Retrouver ici tous les autres portraits du Malagasy Club de France