Hugues Randriambololona et le tango des maths
|Dans l’univers des nombres et des chiffres, Hugues Randriambololona, métis franco-gasy, est ce qu’on pourrait appeler « une tête », « une tronche », « un cerveau ». Mais pas question de lui coller l’image du scientifique austère enfermé dans son laboratoire comme un pharaon dans son tombeau. Non. L’enseignant-chercheur dont le MCF va vous parler aujourd’hui fait partie de ceux qui voient leur métier comme une chance, une joie, voire même, un jeu ou un art.

Hugues Randriambololona : la technique et la créativité au service de l’art des mathématiques
L’autre jour, le MCF reçoit dans sa messagerie un mail envoyé par Hari Ranjeva. Ce lecteur tient à attirer notre attention sur un certain Hugues Randriambololona dont il a découvert l’existence par hasard en se promenant sur le net. « Ne mérite-t-il pas un article ? ». Sa suggestion est accompagnée de la liste des quelque quatre cents candidats reçus à Polytechnique en 1994 : tout en haut du classement, en numéro un, figure Hugues Randriambololona. Est-ce qu’un homme portant un tel nom et finissant premier du concours de l’une des plus prestigieuses écoles au monde mérite un article dans le MCF ? Oui. Un rendez-vous avec l’intéressé est donc rapidement fixé.
De la chirurgie aux maths en passant par la physique et l’astronomie
Hugues Randriambololona est curieux de nature. « Je ne saurais pas vous dire précisément depuis quand je m’intéresse aux chiffres mais, ce qui est certain, c’est que je me suis toujours intéressé à beaucoup de choses et en particulier aux sujets scientifiques. A la maternelle, je m’amusais déjà à jouer avec les nombres mais à l’époque, je n’aurais pas dit que je jugeais cela plus intéressant que la médecine ou les dinosaures… »
Avec les années, cet attrait que ressent Hugues Randriambololona pour les sciences ne fait que se confirmer et se renforcer. « Vers six ans, je voulais être chirurgien, se rappelle-t-il. Puis, à l’époque du collège, à Aubervilliers, je me destinais plus à la physique et à l’astronomie. Je me disais que je deviendrais peut-être chercheur dans ce domaine-là… »
En classe de troisième, un professeur de mathématiques ayant repéré l’enthousiasme et les capacités de Hugues conseille à ses parents d’envisager une candidature à un « grand lycée ». « En principe, c’est la carte scolaire qui détermine l’affectation d’un élève. Mais quelques établissements autorisent des inscriptions sur dossier. C’est par cette voie-là que j’ai rejoint Louis-le-Grand, à Paris. »
Dans sa nouvelle école, à mesure qu’approche l’échéance du baccalauréat, Hugues Randriambololona voit ses plans se modifier progressivement : peu à peu, les mathématiques supplantent la physique dans le cœur du lycéen. « Avec le système d’éducation français, les maths sont la matière dominante. Or, c’est là que j’avais le plus de facilités et c’est ce que je préférais. Du coup, j’ai choisi d’en faire ma spécialité. »
Reçu à Polytechnique, il a d’autres ambitions
Le bac en poche, Hugues Randriambololona enchaîne donc naturellement sur la prépa intégrée de Louis-le-Grand, prépa au terme de laquelle, toujours logiquement, il présente sa candidature aux concours d’entrée des grandes écoles : Polytechnique et l’Ecole Normale Supérieure (ENS). La suite, vous pensez la connaître, mais vous vous trompez peut-être. Car si Hugues Randriambololona a bel et bien été reçu à Polytechnique (et pour cause, il a fini premier du concours), figurez-vous qu’il a décidé de ne pas y entrer ! Pas par caprice ni par frime mais parce qu’il préférait intégrer l’ENS, école à laquelle il est également reçu (classé troisième).
« C’est un cas de figure qui arrive très souvent. Les deux concours se ressemblent beaucoup et, la plupart du temps, un candidat qui réussit l’un réussit également l’autre. Moi, j’ai choisi l’ENS parce c’est une école très orientée vers la recherche tandis que Polytechnique a surtout pour mission de fournir des ingénieurs et des cadres dirigeants aux ministères et aux grandes entreprises publiques. L’ENS correspondait mieux à ce que je voulais faire. »
Sorti de Normale Sup’ en 98, Hugues Randriambololona a depuis rejoint le corps des télécommunications (fusionné avec le corps des mines). Il y occupe un poste d’enseignant chercheur dans lequel il évolue librement sur des sujets tels que la cryptographie (brouillage de messages pour les rendre secrets) ou les codes correcteurs d’erreur (permettre à un ordinateur d’interpréter ou de comprendre un message mal ou partiellement transmis).
Hugues Randriambololona : l’artiste derrière le matheux
Dans ses activités de recherche fondamentale (qui ne débouche sur aucune application immédiate) Hugues Randriambololona, emploie chaque jour tout ce qu’il sait et a appris, mais surtout, met en œuvre tout le plaisir qu’il ressent à « identifier des questions intéressantes« et des problèmes à résoudre. Là où certains pourraient y voir un travail obscur, abstrait et ennuyeux, lui, qui est aussi un danseur chevronné de tango, y voit une démarche semblable à celle d’un artiste. Voici comment il l’explique quand on lui en laisse le temps :
« Pour le mathématicien comme pour l’artiste, il y a deux qualités essentielles : la technique d’une part, la créativité d’autre part. La technique, tout le monde voit bien ce que c’est : par exemple les calculs pour un mathématicien, les gammes ou le solfège pour un musicien, le maniement des outils pour un sculpteur, etc… Mais ça n’est pas l’essentiel, un mathématicien n’est pas juste quelqu’un qui fait plein de calculs compliqués, pas plus qu’un écrivain serait juste quelqu’un qui écrit très vite sans faire de fautes d’orthographe. Il faut aussi apporter des idées nouvelles, originales, pour au final créer quelque chose qui ait du sens. En fait, technique et créativité, les deux sont importants. Quelqu’un qui a une excellente technique mais aucune imagination ne va rien produire d’intéressant. Mais à l’inverse, quelqu’un qui prétend avoir de grandes idées, mais qui n’a aucune technique pour les soutenir, sera souvent un imposteur. C’est seulement une fois qu’on est complètement à l’aise avec la technique, qu’alors on peut commencer à s’en abstraire, et qu’on profite d’une liberté d’autant plus grande pour créer et expérimenter. A la réflexion c’est peut-être ça qui m’a plu dans le tango (et à d’autres mathématiciens, je ne suis pas le seul) car ces deux aspects y sont très présents aussi. »
C’est notamment cette liberté qui fait dire à Hugues Randriambololona qu’il n’est pas prêt de changer de travail. « Avec mon niveau de formation, je pourrais prétendre à des postes mieux rémunérés. Mais je préfère exercer ici ce travail que je considère comme un privilège tant il est intéressant et stimulant, tant je m’y sens libre et autonome dans mon organisation comme dans mes choix. »
En plus, qui sait, ce métier qui impose à Hugues Randriambololona un certain nombre de voyages remettra peut-être le scientifique sur les traces de ses origines paternelles : « Je ne suis jamais allé à Madagascar. J’espère que l’occasion se présentera un jour. Mon père est arrivé en France dans les années 60, n’est jamais retourné là-bas et n’a pas appris la langue à ses enfats. Ce serait un beau voyage. » Et s’il y en a qui doutent de la sincérité d’Hugues Randriambololona, sachez qu’il a déjà une méthode Assimil dans ses tiroirs !