1960-2010 : Comment Madagascar a tout raté

Toavina Ralambomahay publie « Comparatif Madagascar-Maurice – Contribution au développement de Madagascar ». A la lecture de l’ouvrage, il ne fait aucun doute : ce livre devrait susciter un vif débat, notamment au sein de la communauté malgache de France, tant il désigne les maux et leurs causes par leurs noms, sans langue de bois. Et c’est tant mieux. Car Madagascar mérite qu’on parle d’elle avec vigueur, quelles que soient les opinions et analyses de chacun.

comparatif madagascar maurice

 Comment Madagascar a tout raté. Derrière ce titre d’article volontairement provocant se cache une véritable question : que s’est-il passé, en soixante ans d’indépendance, pour que Madagascar s’enlise dans le sous-développement tandis que, dans le même temps, des territoires comparables progressaient à toute allure et sur tous les plans ? C’est pour apporter des réponses et des esquisses de solutions à son pays que Toavina Ralambomahay a publié Comparatif Madagascar-Maurice, Contribution au développement de Madagascar. Une démarche on ne peut plus judicieuse : après tout, si l’herbe est plus verte chez le voisin, il serait bon d’en connaître les raisons.

Madagascar et Maurice ont obtenu leur indépendance au cours de la même décennie (1960 pour la première, 1968 pour la seconde). A l’époque, la plupart des observateurs prévoyaient un avenir radieux à Madagascar alors que nombre de spécialistes (y compris un prix Nobel d’économie) annonçaient « la faillite », « l’explosion sociale » et « l’explosion démographique » de Maurice. Rien que ça !

Cinquante ans plus tard, force est de le constater : tous ces experts se sont complètement plantés ! Alors que Madagascar végète aujourd’hui aux derniers ranges des pays les moins avancés, Maurice, elle, a atteint un niveau de vie comparable à celui de l’Espagne et du Portugal.

Certes, ces deux pays ont des différences incontestables (en premier lieu desquelles, la superficie). Mais ils présentent également un grand nombre de similitudes : proximité géographique, colonisation, diversités ethniques et culturelles, appartenance à la communauté francophone… Du coup, Toavina Ralambomahay a voulu comprendre. Il a voulu identifier « les raisons ayant permis à l’île Maurice de passer en quarante ans de 200$ de revenus par habitant à 6300$ ». Pour ce faire, mais aussi pour tenter « d’extraire des éléments positifs pour Madagascar », l’auteur a étudié Maurice de très près. Pendant deux ans.

comparatif madagascar mauriceBien sûr les raisons du succès mauricien n’ont pas toutes la même origine. Mais l’une d’elle semble sortir du lot. C’est la « démocratie consociative » au sein de laquelle les élites de chaque communauté parviennent à s’entendre. Autrement-dit par Toavina Ralambomahay : « Quels qu’ils soient, les Mauriciens ont eu le même but, le même idéal et ils ont partagé un modèle de société, tous ont convergé vers ce but ».

Des institutions inadaptées

Mais la volonté seule n’aurait pas suffi. L’auteur, juriste de profession, insiste également sur la nature des institutions mauriciennes qui donnent une place, un droit de parole et une légitimité à une opposition politique « perçue comme une alternative en termes de projet de société et de ressources humaines ». Ainsi, l’alternance politique a toujours sa chance, chance à laquelle Madagascar n’a quasiment jamais eu droit autrement que dans la violence et/ou la pagaille.

Ce manque cruel d’alternance est cette instabilité politique, Toavina Ralambomahay semble la mettre tout en haut des raisons de l’échec quasi permanent de la grand île. Mais il serait trop facile de ne dénoncer que les institutions. Le destin d’un pays étant façonné par les hommes avant toute chose, l’auteur du livre ne se prive pas de dénoncer les erreurs ou les manquements de chacun.

Des politiques sans convictions ni formations

Toavina Ralambomahay juge les élus de Madagascar insuffisamment formés, trop éloignés des citoyens et sans bases idéologiques clairement identifiées. Ce qui fait une différence énorme avec Maurice. Là-bas, « avant même qu’une personnalité politique soit élue, son profil, ses projets politiques, ses idées ou celles de son parti sont (normalement) déjà connues et ont déjà été discutées au sein de la population. »

Pour Madagascar où, à de rares et légères exceptions, aucun président n’a milité au sein d’un parti politique avant de se faire élire, Toavina Ralambomahay préconise « des formations politiques, idéologiques et programmatiques permanentes destinées aux sympathisants des partis ».

Une société civile indifférente
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Tsiranana, quelques jours avant l’indépendance

A Maurice, relève l’auteur du livre, la société civile (associations, presse, ligues communautaires, ONG et syndicats) exerce un lobbying permanent auprès des politiques. Elle alerte les responsables et provoquent le débat. En revanche, « à Mada, on demande à la société civile d’être neutre, solidaire et impartiale ». en somme, d’être en faveur de l’opinion dominante. Toavina Ralambomahay reproche notamment à la presse malgache de se contenter de transmettre des informations là où certains faits mériteraient également d’être dénoncés.

Un peuple de Madagascar pas assez investi

L’indifférence et/ou la méfiance vis à vis de la politique à Madagascar s’explique par bien des causes. Le mot « politique », reconnaît Toavina Ralambomahay est d’ailleurs aujourd’hui perçu de façon très « péjorative« . Mais dans cette déconsidération, le peuple malgache n’est pas exempt de toute responsabilité. Le livre fustige à ce sujet deux catégories de malgaches. Ceux qui « pour enlever le pouvoir aux dirigeants, croient devoir aller sur la place du Treize-mai au lieu de suivre à la loupe le processus électoral » et ceux qui, à l’inverse et trop souvent, se contentent « d’accepter plutôt que de contester ».

Une élite coupable

Pour Toavina Ralambomahay, pas de doute  « Les intellectuels et diplômés ne font pas l’effort d’éduquer le peuple (pire, parfois, ils se demandent si ce peuple mérite d’avoir une voix). »

Les dangers de l’unanimisme à tout prix

Le livre regrette à plusieurs reprises l’absence d’opinions tranchées dans le débat politique malgache. Un état de fait qui s’explique selon lui par une volonté de synthèse qui paralyserait tout. « Le consensus est constamment recherché. L’unanimisme est toujours un principe de gouvernement. Aucun régime n’a encore consacré l’existence d’une minorité, d’une opposition. »

Le désintérêt de la diaspora

L’accusation n’est pas  au cœur de l’ouvrage de Toavina Ralambomahay mais elle est bien là, précise et directe, écrite noire sur blanc en conclusion des remerciements : « Delhi, Paris, Bali,
J’en connais des habitants de Mada qui voyagent. So what ? Ce ne sont que des réussites individuelles. Et c’est la pire chose que nos aînés nous ont appris, A savoir : la réussite individuelle est possible dans un désastre collectif. Si chaque habitant de Mada ramenait ou partageait ne serait-ce qu’un peu de ses expériences, nous n’en serions pas là. »

Le développement de Mada n’est pas un « rêve »
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Toavina Ralambomahay

Ce Comparatif Madagascar-Maurice n’apporte aucune solution miracle (mais qui en attend encore ?). Son principal mérite est ailleurs : il offre des pistes de réflexions intéressantes et invite à un examen de conscience collectif. En n’épargnant personne, en mettant des mots sur des maux, il ouvre un débat qui, espérons-le, débouchera un jour sur des décisions concrètes mais aussi sur un renouvellement des comportements et des habitudes : des institutions plus adaptées, des citoyens plus exigeants et vigilants, une société civile plus engagée et, rêvons un peu, en conséquence de tout cela, des politiques plus responsables, plus compétents, plus honnêtes.

D’ailleurs, de la même façon que Toavina Ralambomahay ne dresse pas un tableau tout rose de Maurice (pays au sujet duquel il se montre parfois très critique), il n’envisage pas non plus un avenir forcément sombre pour Mada. Il rappelle même, statistiques à l’appui, que « le développement de Madagascar n’est pas un doux rêve ».

De ce livre, chacun se fera sa propre opinion. Peu importe, pourvu qu’il la partage et la confronte.


  • Comparatif Madagascar-Maurice, Contribution au développement de Madagascar, paru aux éditions L’Harmattan.
  • Livre en vente dans les bonnes librairies ou en ligne par ici.
  • Toavaina Rlambomahay, juriste, est consultant pour le Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud), pour le WWF et pour la Fondation Friedrch Ebert. Il a été nommé correspondant de l’Académie malgache en 2012. Il est également l’auteur de Madagascar dans une crise interminable, également aux éditions L’Harmattan.

Edit 2 : l’interview de Toavina Ralambomahay  est là. Son Titre : « Aucun Malgache ne croit en son pays ».

Edit : Lundi 16 mars, le MCF va interviewer Toavina Ralambomahay au sujet de son livre polémique « Comparatif Madagascar-Maurice ». Si vous avez des questions à lui poser, donnez les nous (via le formulaire de contact du site, en commentaire, ou par Facebook) et je les lui poserai « en votre nom ». C’est l’occasion de dire ce que vous pensez de ce livre qui n’épargne personne. Alors prenez la parole ! Car c’est le peuple qui fait l’opinion.